Jean Martin Mvogo Onana, La pédagogie du français langue étrangère : Innovation pédagogique et méthologique.
La quasi-totalité de la réflexion didactique actuelle sur l’enseignement des langues étrangères a pour socle la dimension culturelle dont l’émergence a été consacrée, pour la plupart des chercheurs (R. Galisson, G. Zarate, M. Abdallah-Pretceille, M. Byram, J.C. Beacco ou D. Lussier) sous la dénomination de didactique des langues et des cultures. Le Conseil de l’Europe, soucieux d’une cohésion sociale harmonieuse dans un contexte pluriculturel, a mis en vigueur un Cadre de référence qui permet un acquis de la langue par le biais des savoirs et savoir-faire culturels, interculturels ou pluriculturels. Une telle initiative laisse croire qu’apprendre une langue étrangère consiste à construire des rapports d’altérité. De plus, « si étudier une langue (un système linguistique) est toujours intellectuellement enrichissant, apprendre à parler, connaître et comprendre un autre peuple, être capable d’interagir dans une autre culture, c’est-à-dire maîtriser une compétence communicative, constituent une entreprise décapante » (De Salins, 1992 :7).
Il y a donc lieu de savoir s’il existe un impératif méthodologique devant assurer un développement sûr et efficace de la compétence communicative par laquelle les locuteurs et interlocuteurs pourront réussir l’intercompréhension des langues qui s’impose indissociablement au processus d’apprentissage des langues étrangères ?
D’une part, comment y procéder lorsqu’on doit adopter la perspective actionnelle par laquelle l’apprenant est non seulement un acteur social, mais aussi le centre d’intérêt du processus didactique ?
D’autre part, que vaut le manuel de langues étrangères à l’ère du numérique ? Le manuel ou méthode de langue ne réduisent-ils pas la créativité requise en didactique ? Ne devrons-nous pas laisser le libre choix aux apprenants vis-à-vis de l’usage de manuels ou méthodes en langues étrangères ? Sur quels critères devrait se reposer ce choix au cas où il était assumé par l’enseignant ? Sont autant de questions que l’on peut se poser lorsqu’on aborde la problématique de la méthodologie voire de la pédagogie en didactique de langues et cultures étrangères.
Dans la même optique, Francis Debyser (1974), dans un polémique article intitulé «La mort et le déclin de l’illusion méthodologique », met évidence l’inefficacité des interventions pédagogiques et méthodologiques classiques dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Pour lui, en effet, le « surinvestissement perfectionniste du côté de la méthodologie va finir par aboutir à un blocage de la pédagogie des langues » (F. Debyser, 1974 :58). Le blocage dont il est question peut être compris comme refus de l’innovation pédagogique ou manque d’aptitude d’adaptation aux nouvelles situations et besoins sociolinguistiques contextuels.
En nous basant sur la problématique qui sous-tend l’article de F. Debyser (1973) à savoir la question de la perspective pédagogique basée sur la simulation comme pratique fonctionnelle et moyen d’apprentissage à utiliser en didactique des langues, afin de permettre l’« action » et l’« expérimentation » chez l’apprenant, mais aussi de rendre pertinent l’apprentissage par la prise en compte des besoins réels de l’apprenant et des situations de communication authentiques. Nous présenterons dans un premier moment, l’analyse critique du texte déclencheur de cette réflexion, puis nous énoncerons en filigrane la perspective méthodologique en vigueur, celle proposée par le Conseil de l’Europe ; enfin nous montrerons l’impact de la critique de F. Debyser sur notre pratique de classe.
Le brassage des cultures, les interconnections accrues entre les peuples et le métissage culturel, qui caractérisent l’époque de la mondialisation, ont provoqué une révolution copernicienne au sein de la didactique des langues et cultures. D’une part, l’on est passé d’une didactique centrée sur l’enseignant, laquelle s’intéressait, dit C. Puren (1999 a :3), aux questions tournant autour du “comment enseigner la langue ?”, à une perspective didactique plus novatrice, innovante et plus complexe, par laquelle l’apprenant y apparait au premier plan. Dès lors et à présent, souligne C. Puren (1999a : 5), « il est possible d’objectiver l’ensemble des questions concernant le “ comment enseigner ”, le “comment apprendre ” et les relations entre le “comment enseigner” et le “comment apprendre” ». Ce changement a donc eu aussi des répercutions dans la méthodologie dont les éléments pertinents sont représentés dans la figure ci-dessous.
PUREN 1999a. « La didactique des langues-cultures étrangères entre méthodologie et didactologie ». Les Langues modernes n° 3/1999, pp. 26-41. Paris: APLV, p. 6.
Comme nous pouvons nous en rendre compte, la méthodologie issue de l’innovation pédagogique permet l’acquisition efficace en langue par les moyens plus motivants, plus inclusifs qui permettent la prise en compte des besoins réels des apprenants, leur motivation, la création des situations ambiantes favorables pour les faire travailler et les évaluer. Bien évidemment, nous ne devons pas perdre de vue que toute méthodologie est relative aux objectifs à atteindre, pour ce faire, il serait plus prudent de parler des « méthodologies ». Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les antécédents qui ont provoqué ce changement méthodologique ?
Selon F. Debyser (1973 : 61), la nécessité d’adaptation aux besoins et situations nouvelles est à l’origine de la rénovation tant didactique que méthodologique. Plusieurs faits ont alimenté le débat et la réflexion donnant résultat à la rénovation en question, notamment la critique sur la finalité de l’école, le mode d’acquisition des savoirs et leur application dans la vie concrète, la fonction pédagogique, la relation maître-élève, la dynamique du groupe-classe, l’opportunité de placer le réemploi avant ou après les exercices de fixation, la question de la pédagogie centrée sur la méthode, entre autres.
Face à cette crise, il fallait une intervention urgente, notoire et véritable en pédagogie. Cette intervention devrait être de vaste portée, car elle impliquait : la prise en compte des besoins concrets des apprenants y compris leurs émotions pour les responsabiliser vis-à-vis de leur processus d’apprentissage ; la formation permanente du corps des enseignants aux reformes éducatives et méthodologiques ; l’ouverture aux besoins de la société car la langue reste un produit socio-historique et une pratique sociale (cf. Porcher, 1986: 33) ; l’intervention au niveau des méthodes. Attelons-nous principalement sur cette dernière portée.
Le renouvellement méthodologique afférent consista généralement à :
a) Passer d’une « pédagogie de dressage et de guidage » (F. Debyser (1973 : 62), à une pédagogie fondée sur le modèle constructiviste : construire le savoir à partir des connaissances déjà acquises par l’apprenant. Dans ce modèle l’enseignant se considère comme un médiateur libre d’intervention.
b) Rendre la pédagogie plus créative et flexible : inclure la réalité authentique de la langue étrangère (l’usage régulier des documents authentiques) ; individualiser le processus ou rendre l’apprenant autonome de telle manière qu’il puisse s’acquérir les compétences pour apprendre à apprendre dans la vie.
c) Faire des manuels et méthodes des véritables médiations « rapprochantes », moins encombrantes, au service du contact immédiat avec l’objet d’étude et de la production en langue. (cf. F. Debyser (1973 : 63).
Sur le plan pédagogique, l’incontestable. F. Debyser (1973) suggère opérer pour une pédagogie de la simulation. Elle est comprise par l’auteur de référence comme « une reconstruction aussi fidèle que possible du réel ou tout au moins des éléments du réel pertinents pour l’étudiant. » (p. 65). La simulation pédagogique consiste, dit-il, à « permettre l’action (simulée) et l’expérimentation (réelle) » (p. 65). En effet, la simulation pédagogique propulse l’apprenant à agir de son propre chef, même dans le cas où il a des consignes à exécuter (ibidem). Ce que l’on vise par cette démarche pédagogique est la mise en application des compétences et savoir-faire acquis ou en voie d’acquisition par l’entremise des entrainements en situations réelles. Il s’agit dont de « donner plus de vie à un modèle que l’on demande à l’élève de reproduire, puis d’imiter ». (Ibidem).
Par ailleurs, si nous nous accordons avec F. Debyser (1973 : 66) pour dire qu’il n’y a pas d’impératif en méthodologie car les méthodes nouvelles d’un jour sont les méthodes désuètes de demain, alors les méthodologues doivent se forger un esprit ouvert et critique aux innovations pédagogiques, par lequel ils seront moins scientistes et beaucoup plus pédagogiques.
Actuellement, l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation en langues étrangères sont régis par le Cadre Européen de Références pour les langues (CECR). Il y a lieu de savoir dans quelle mesure ce document constitue une base solide pour la pédagogie et des méthodologies en didactique des langues et cultures étrangères.
Certains auteurs à l’instar de P. Riba et B. Mègre (2015) considèrent le Cadre comme inachevé, ils déclarent en effet : « pour nous, le CECR n’est pas un ouvrage abouti, mais plutôt un outil en évolution qui connaîtra, d’ailleurs des modifications ou des ajouts importants. » Malgré ses limites implicitement évoqués par ces deux spécialistes du FLE, le Cadre demeure jusqu’à présent la référence en matière d’apprentissage et d’évaluation en langues. Pour cette raison, comme outil, le Cadre doit être opérationnel à condition qu’il soit compris et adapter car il promeut l’agir social en milieu plurilingue. Il constitue en soi un repère didactique solide en ce sens :
1) Qu’il formule avec clarté les objectifs d’apprentissage des langues, c’est-à-dire ce que « les apprenants d’une langue doivent apprendre afin de l’utiliser dans le but de communiquer ».
2) Qu’il sert de ressource pour les évaluations ou certifications en langues (cf. CECR, 2001 :135). Car il propose une démarche éthique devant harmoniser le processus d’évaluation en apprentissage ou en acquisition.
3) Qu’il sert de référence pour élaborer des programmes d’apprentissage des langues en sauvegardant l’application progressive et articulée des acquis en langue et en communication. (cf. CECR, 2001 :12)
4) Qu’il favorise la mise en place d’un apprentissage auto-dirigé, réaliste, contextuel, centré sur l’apprenant, lequel est d’ailleurs considéré comme un acteur social. (cf. CECR, ibidem).
5) Qu’il suggère un apprentissage/enseignement des langues basé sur les compétences générales (savoir, aptitudes et savoir-faire, savoir-être, savoir apprendre) et les compétences communicatives langagières (linguistique, sociolinguistique, pragmatique) [cf. CECR, 2001 :82-101], car il estime que « la langue n’est pas seulement une donnée essentielle de la culture, c’est aussi un moyen d’accès aux manifestations de la culture. »
6) Qu’il définit les niveaux communs de compétence qui permettent de mesurer le progrès de l’apprenant à chaque étape de l’apprentissage et à tout moment de la vie. (cf. CECR, 2001 :23-37).
Cet apport du CECR en didactique des langues et cultures repose donc principalement sur le besoin de surmonter les difficultés et d’améliorer la communication dans tout contexte plurilingue et par surcroit former une compétence culturelle nécessaire pour une vie sociale dotée d’harmonie, de respect de l’autre, de dialogue entre citoyens de langues et de cultures différentes parce que la communication facilite la mobilité et les échanges et, ce faisant, favorise la compréhension réciproque et renforce la coopération.
En guise de conclusion, nous pensons donc que la pédagogie ne peut être centrée sur une méthode ou un manuel, le faire serait limiter l’acte pédagogique et la pratique de la classe à un dressage ou guidage, cela reviendrait aussi à rendre plus encombrant le processus d’apprentissage et par surcroit distancer l’apprenant des objectifs à atteindre. Il nous parait par contre innovateur assumer la pédagogie de la simulation dans la mesure qu’elle est plus impliquante et opératoire. Elle fait appel à des représentations de la réalité, ce qui rend l’apprentissage des langues étrangères plus significatif, motivant et séduisant pour les apprenants.
Références bibliographiques :
De SALINS, G-D., (1992), Une introduction à l’ethnographie de la communication, Paris, Les Editions Didier.
PORCHER, L., (1986), La civilisation. Paris, Clé International.
PUREN C. (1999a. « La didactique des langues-cultures étrangères entre méthodologie et didactologie », in Les Langues modernes n° 3/1999, pp. 26-41. Paris : APLV.
DEBYSER F., (1973), « La mort du manuel et le déclin de l’illusion méthodologique », in Le français dans le Monde, n° 100.
MEGRE, B., RIBA, P., (2015), « Convertir l’évaluation en un processus de dialogue » dans Le français dans le Monde, nº 400, juillet-août.
CONSEIL DE L’EUROPE (2001), Cadre européen commun de référence pour les langues: apprendre, enseigner, évaluer, Strasbourg : Didier.
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