L’alternance des langues est une possibilité pour apprendre aisément des langues, car elle permet non seulement l’accès à l’information, mais aussi l’enrichissement culturel. Elle est une ressource pour développer la communication interculturelle et l’acceptation des différences.
Enseigner par l’alternance codique dans un contexte bilingue ou plurilingue n’est pas toujours une tâche aisée, car elle exige de l’enseignant non seulement des habiletés ou compétences professionnelles (maîtrise de la langue et aptitude fonctionnelle à susciter l’intérêt pour l’apprentissage), mais aussi et même surtout les aptitudes personnelles devant s’opérer dans la mise en œuvre des savoirs linguistiques et connaissances culturelles particulières et générales.
Selon N. Koulayan (2016), enseigner en contexte bilingue ou plurilingue requiert de l’enseignant la capacité de susciter la motivation nécessaire gage d’un certain succès auprès de ses apprenants, par ailleurs, l’enseignant doit accorder une valeur positive et ouverte aux contacts linguistico-culturels induits par leur alternance.
Cette réflexion tente de comprendre le rapport entre le plurilinguisme et le dialogue interculturel, les enjeux qui en découlent dans le contexte scolaire mexicain où la langue française reste la deuxième langue étrangère la plus sollicitée, juste après l’anglais. Pour être plus précis, nous jetterons un regard particulier sur le cas du Centre d’études linguistiques Avec Toi ( CELAT). Notre question de fond est celle de savoir si le CELAT dispose des moyens, possibilités et ressources pour être un espace idoine pour le développement des disciplines non linguistiques (DdNL).
En considérant que les élèves du CELAT ont fréquemment recours à leur langue première dans les travaux en équipe, et d’ailleurs qu’ils s’expriment en français seulement quand on le leur exige, qu’ils ont peur de se tromper ou d’être corrigés lors qu’ils entament une conversation en langue cible (l’insécurité linguistique) ; vue aussi l’accès et le contact étroits qu’ils ont vis –à- vis de la culture francophone, et l’intérêt des enseignants de motiver à l’apprentissage de la langue française tout en surmontant les obstacles ci-contre, il y a lieu de faire recours à l’alternance des langues pour viser les ouvertures culturelles, qui d’ailleurs passionnent les apprenants, afin susciter plus d’intérêt et goûts pour l’apprentissage de la langue française à partir de la composante ludique et interactive.
Jean Duverger (2009), dans son article “favoriser l’alternance des langues”, non seulement met en évidence les enjeux d’une démarche didactique en alternance codique, mais aussi il suggère des critères pratiques pour élaborer une séquence didactique en DdNL. Cette approche de J. Duverger nous permet d’opérer une mise en œuvre d’un enseignement bilingue ou plurilingue au CELAT.
L’enseignement plurilingue à CELAT impliquera l’espagnol (langue première), l’anglais et le français (langues étrangères). Il s’agira d’utiliser les langues étrangères pour enseigner des matières non linguistiques, comme l’éducation physique et sportive, la musique, l’art plastique ou la gastronomie. Tout ceci sera relatif au niveau de langue des apprenants sans oublier les intérêts communs et particuliers des étudiants. Procéder de cette manière contribuera à responsabiliser l’apprenant en sa qualité d’acteur social. Aussi, pensons-nous, l’alternance codique pourrait consolider, de manière processuelle, la compétence culturelle des élèves.
Le CELAT, pour développer le plurilinguisme et sauvegarder la diversité linguistique, dispose de trois départements spécialisés en enseignement des langues de communication dans le Centre, à savoir : l’espagnol, l’anglais et le français. Primordialement, chaque département travaille d’arrache-pied pour que chaque élève apprenne efficacement la langue qu’elle promeut.
Ces départements travaillent en étroite collaboration soit pour la réalisation des activités culturelles, soit pour promouvoir l’interdisciplinarité. Pour ce faire, ils organisent conjointement, une fois par an, une foire de langues et toute une semaine culturelle, qui sont des moments pour sensibiliser aux autres cultures et langues.
Si l’enseignement par l’alternance des langues paraît séduisant et parfois efficace en résultat, il n’en demeure pas moins qu’il soit peu compris pour diverses raisons. Pour Virginie Lamotte, cette complexité qui accompagne cette approche éducative doit être examinée de manière contextuelle, car pense-t-elle : « l’enseignement des langues est très variable d’un pays à l’autre. Il dépend de la volonté des États de leur accorder plus ou moins de place dans les programmes scolaires ». D’autre part, l’on devient de plus en plus conscient de l’impact psychologique et cognitif que ce type d’enseignement provoque chez l’apprenant. Une autre raison que nous pouvons relever est celle de la qualité et l’efficacité de la formation des enseignants ; le problème de disponibilité des ressources documentaires ou d’élaboration du matériel didactique contextuel; les réticences d’ordre sociologique ou sociopolitique, la création des espaces de culture bilingue ou plurilingue dans et hors de l’espace scolaire, etc.
Pour le cas spécifique du CELAT, un enseignement bilingue ou plurilingue ne serait possible que lorsque l’on aurait créé des situations et espaces d’apprentissage ou didactique où co-existent de manière permanente les diverses langues. Dans cette perspective, selon J. Duverger (2007 : 28) , le professeur et les élèves doivent disposer en permanence des deux langues de communication (dans le cas d’un système bilingue), de deux outils de travail, pour le plus grand bénéfice de la discipline et du profit pour les langues en jeu.
Nous pouvons donc constater que le projet d’alternance de langues requiert du temps, de la créativité et de l’expertise. Il dépend aussi des objectifs éducatifs à atteindre. A ce propos, J. Duverger (2009) suggère de contempler cette nouvelle donne éducative dans trois dimensions dans lesquelles l’enseignant demeure le pivot du processus didactique. C’est pour cette raison qu’il catégorise l’alternance codique en trois niveaux, à savoir :
1) La macro-alternance, d’ordre structurel, qui concerne la programmation générale des cours ;
2) Une alternance séquentielle, sorte de méso-alternance, la plus délicate sans doute à maîtriser, qui se met en place tout au long de l’unité didactique ;
3) Une micro-alternance, qui se réfère aux courts passages d’une langue à l’autre, non programmable, d’ordre très conjoncturelle.
Cette dernière catégorie est celle qui convient le mieux à CELAT, car elle est moins pesante et plus intégrante, d’autant plus qu’elle favoriserait une interaction plus aisée et l’enseignant serait en droit d’expliquer ou d’apporter d’amples explications sans majeures contraintes didactiques. Par ailleurs, elle permettrait, par le truchement de l’intercompréhension de repérer les divergences et les similitudes linguistiques, la sauvegarde de la diversité culturelle inhérente à l’exercice de communication. Une micro-alternance codique donnerait un sens et une valeur à l’apprentissage pluriel des langues dans la mesure qu’elle comble non seulement les besoins de communiquer avec l’Autre culturellement différent, mais aussi d’être et d’agir avec Lui.
En rapport avec ce qui précède, nous remarquons que l’alternance codique est le point focal du rapport entre le plurilinguisme et le dialogue interculturel (Henri Boyer : 2011), car elle repose sur la coopération interactionnelle, les fonctions communicative et symbolique du langage, le métissage culturel (le co-culturel).
D’autre part, si « l’insécurité linguistique induira des représentations de soi-même comme sujet limité et aliéné, semi-lingue à l’identité incertaine » comme le souligne Marie-Eve Perrot (1995a ; 131), alors, l’alternance des langues devrait contribuer à renforcer l’identité culturelle de l’élève et à le responsabiliser vis-à-vis de celle-ci.
En guise de conclusion, nous avons montré que l’alternance des langues est une possibilité pour apprendre aisément des langues, car elle permet non seulement l’accès à l’information, à l’acquisition des savoirs, mais aussi l’enrichissement culturel. L’alternance codique est une ressource pour développer la communication interculturelle et l’acceptation des différences. Par conséquent, il existe un rapport crucial entre le plurilinguisme et le dialogue interculturel, lequel peut être compris comme le socle de la cohésion sociale (l’intercompréhension des langues) dans les sociétés plurilingues.
Si donc l’alternance des langues n’est possible que dans la mesure qu’elle permet l’intercompréhension, comprise comme « égalité entre les langues, respect mutuel entre les locuteurs » (Pierre Janin), alors en favorisant l’alternance des langues au CELAT, l’on doit reconnaître, d’une part, que le plurilinguisme est une nécessité pour assumer la citoyenneté mondiale. D’autre part, l’on doit créer nécessairement des espaces éducatifs pour : 1) bâtir le savoir à partir la langue de l’apprenant ; 2) construire des dispositifs pour accéder à la compréhension ; 3) adapter la pédagogie à l’âge de l’apprenant ; 4) chercher l’articulation entre les cours de langue et des autres (cf. Pierre Janin). Une telle démarche repose sur les enjeux éthiques, politiques et didactiques.
Voici comment vous pouvez citer cet article scientifique en format APA :
Martin Mvogo Onana, J. (2019). L’alternance des langues et ses enjeux: Cas du Centre d’études linguistiques Avec Toi (CELAT). [blog] retrived from www.celat.net
Références bibliographiques :
Koulayan Nicole (2016), Alternance des langues, interactions et didactiques, (cours en ligne : http://e-cursus.univ-ag.fr/course/view.php?id=522)
Perrot Marie Eve « l’alternance codique. Bilinguisme en situation minoritaire et contact de langues : l’exemple du chiac », in Langues et Cité n°19 sur Parler (avec) plusieurs langues.
Françoise Grenand, La linguistique de terrain en Guyane, in http://e-cursus.univ-ag.fr/mod/folder/view.php?id=18591
Duverger Jean (2007), « Favoriser et Didactiser l’alternance des langues »,
______________(2009) « Didactiser l’alternance des langues en cours de DNL (Disciplines non linguistiques) » http://e-cursus.univ-ag.fr/mod/folder/view.php?id=18591
Virginie Lamotte, « Le programme européen : E M I L E », http://e-cursus.univ-ag.fr/mod/folder/view.php?id=18591
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